dimanche, août 09, 2009

comme si rien ne s'était passé


Le sommeil, à cette heure, se fait de plus en plus pesant. Je me suis dis qu'en marchant un peu, cela m'aiderait à me tenir éveillé. En longeant la rue je me surprend à déambuler plus longtemps. Cela a paradoxalement redoublé mon envie de virée nocturne. Je prends cette route un peu sinueuse en contre bas, près d'un rond point ou je m’étais déjà rendu. Il me fallait y revenir comme cette sensation qu'il fallait sortir. Un virage l’enchâsse qui est plongé dans l'obscurité. En temps normal il est largement éclairé. Un lampadaire a certainement du griller. La route ainsi s’est assombrie sur toute sa longueur. En franchissant la zone éteinte, l'air se rafraîchit. Un son au loin retient vaguement mon attention. Un deux roues, comme il en passe souvent en fin de soirée, vraisemblablement sur une route voisine. A cette heure, les sons apparaissent puis s'évanouissent au loin comme des mirages. Je pense à un scooter, un de ceux qu'ont les adolescents qui rejoignent le centre ville pour s'agrouper sur les parkings ou pour livrer des pizzas. Je pense un instant au livreur de pizzas. Je ralentis le pas, le son vient par derrière, je n'ai pas besoin de me retourner pour le voir. Au moment où il arrive, un son très aigue se propage et se mêle à celui du moteur. Je me représente sur le coup un passager féminin à l'arrière qui parle fort sous son casque avec le conducteur. J'essaie de rapprocher ce son de quelque chose de familier tant il relève presque du cri. En réalité c'est une seule personne que je vois furtivement se rapprocher et ralentir. Elle ne s'arrête pas totalement, le moteur tourne encore. Je me retourne surpris et lui fait face de l’autre coté de la route : une personne assez forte qui m'interpelle en criant sous son casque 'mais vous allez mourir de froid comme ça, vous allez tomber malade comme ça!!'. Au début je ne comprend pas ce qu’elle veut dire, sa phrase résonnant étrangement en ce soir d’été. Peu s'arrêtent en chemin la nuit pour faire ce genre de remarque. Je tente de la distinguer dans le noir mais c'est l'incapacité totale de savoir qui c'est ou de reconnaitre cette personne. Impossible de dire si c'est un homme ou une femme, agé(e) ou jeune, sans détermination précise, néant. En regardant sa tête et surtout son regard à travers la visière, son corps emmitouflé dans une large parka foncée, il me semble voir une femme. Sa voix me parait anormalement aigue, ce qui m'empêche de l'identifier clairement. Tout dans son attitude reflète la disproportion ou l’exagération. Je la regarde encore. Elle me semble rousse aux yeux bleus, le teint clair. A un moment, le doute sur son identité est tel que je l'imagine toutes les porter à la fois. Et à force de la regarder, naît en moi un sentiment assez trouble de familiarité. J'ai connu une personne, ou peut être plusieurs, lui ressemblant. L'idée ne me choque pas de les retrouver ici et dans cette circonstance : un garçon que j'aurais connu dans mon adolescence ou une femme que j'ai récemment croisée. Mais l'identification reste relative dans cette zone éteinte où on ne peut que très difficilement discerner quelque chose, et à cette heure tardive où on ne croise pas grand monde. Comme un instant suspendu, cette personne, telle qu’elle apparaît, me semble pouvoir ainsi exister et habiter le temps. La rencontre s'abrège. Je lui réponds fébrilement 'non !'. Elle ne réagit pas, mutique. Elle redémarre aussitôt et s'éloigne.